| ||
Dans un monde contrôlé par les grandes puissances économiques et dans lequel le profit individuel fait la loi, quelle place est-elle laissée à l'humain ? L'humain, c'est l'artiste qui sommeille en chacun de nous et qui parfois, par un rayon de soleil chaud, le contact de l'être aimé ou un rire d'enfant, nous surprend à s'éveiller. L'humain, l'artiste, c'est celui qui donne. Donner de soi pour l'autre, un acte trop souvent oublié en ces temps de crise. Créer pour la beauté elle-même, pour le regard et le retour de l'autre, c'est ce à quoi l'artiste tente inlassablement de donner de l'importance. De Picasso à Gitlis, chacun par son moyen d'expression, dépeint une réalité telle qu'il la voit ou l'imagine. « Des machines on en a assez ! (…) Pour la destruction, on a tout ce qu'il faut. Mais pour la construction, il faut avoir un peu d'imagination. » (I. Gitlis) Le violon, objet d'art en soi, par sa forme sensuelle et sa voix si proche de la nôtre, donne l'exquise possibilité au musicien et à l'auditeur de vivre la beauté. Beauté de créer. Le violoniste dans l'acte de jouer devrait pouvoir s'oublier, se donner à sa musique et à son auditeur, comme dans l'acte d'amour. A tout âge et tout niveau, c'est l'intensité du sentiment de s'oublier dans ce qu'on crée pour l'autre qui devrait être le but de tout contact avec l'instrument. On interprète une oeuvre musicale comme sa réalité à soi. Les baigneuses de Renoir, celles de Degas, ou encore les Demoiselles d'Avignon de Picasso sont l'interprétation d'une réalité commune par les yeux de chaque artiste. L'oeuvre musicale est une peinture sur une toile temporelle, donc éphémère.
J'ai visité dernièrement l'exposition « Paires et séries » de Matisse au centre Georges Pompidou à Paris. Quelle joie de découvrir que l'artiste a peint à plusieurs reprises deux fois le même tableau, dans le même mois de la même année ! Alors nous, musiciens, qui tous les jours « répétons » nos concertos, n'est-ce pas, comme Matisse, créer chaque jour une peinture nouvelle, l'archet caressant les cordes comme le pinceau le fait sur une toile vierge ? Myriam Audin |